Par Andrée Béchard, mère de Marilyn Bergeron, disparue le 17 février 2008

 

Au moment où j'ai réalisé que ma fille Marilyn était disparue, ce fut le choc.
Un déclic surgit au fond de mon être. Une peur à me rendre presque malade : celle de perdre ma fille. Je n'avais plus qu'une seule pensée... la retrouver le plus vite possible.

Qu'est-il arrivé à Marilyn pour qu'elle disparaisse ainsi ? Qu'a-t-elle vécu ? Où se trouve-t-elle maintenant ? Le fait de ne pas avoir de réponse à sa disparition me ramène continuellement aux derniers instants où je lui ai parlé. Son discours fragile demeure coincé quelque part dans ma mémoire comme si ses dernières paroles prononcées y dormaient encore, cristallisées.

Marilyn est disparue le 17 février 2008. Dans les trois mois précédant sa disparition, nous avions constaté un changement chez notre fille. Elle n'était plus cette belle jeune femme souriante et joviale qui éprouvait tant de plaisir à retrouver sa famille et ses amis. Elle était devenue triste et renfermée dans un silence inquiétant, refusant de dévoiler à quiconque la raison de son état. Les seules confidences obtenues sont des phrases échappées ici et là démontrant la lourdeur d'un secret bien gardé.

Marilyn, qui habitait Montréal depuis trois ans, nous avait demandé de revenir à la maison familiale de Québec : « J'ai besoin d'aide et j'ai peur », m'a-t-elle dit gravement au téléphone un soir de février. C'est à ce moment que j'ai réalisé que ma fille était visiblement en détresse. Par la suite, tout se précipite : du 15 au 16 février, c'est la location du camion pour son déménagement de Montréal à Québec, aux meubles entreposés temporairement et sa chambre de nouveau prête à l'accueillir dans le foyer familial.

Le dimanche 17 février 2008 est une journée ensoleillée et douce comme le printemps. Marilyn décide d'aller prendre une marche. La sentant fragile, je propose de l'accompagner. Elle refuse en me disant qu'elle préfère être seule. Je n'insiste pas. Il est 10 h 45 lorsqu'elle quitte la maison : « Je serai de retour dans une heure ou deux », me dit-elle. C'est la dernière fois que j'ai vu ma fille.

Depuis ce jour, ma vie entière a basculé, comme si mon existence s'était figée quelque part dans le temps. Aussi saisissante que douloureuse, une disparition nous transporte au-delà des frontières de notre réalité familiale. On apprend à naviguer dans un monde nouveau au fur et à mesure que le temps passe. C'est le décompte pour sauver une vie.  

Au cours des journées suivant la disparition de Marilyn, notre famille tente par tous les moyens de raconter et d'expliquer aux policiers les faits entourant son départ précipité de son appartement de Montréal. Nous appuyons surtout sur l'état de détresse dans lequel elle se trouve dont l'urgence de la retracer le plus rapidement possible. De plus, Marilyn a quitté la maison sans son sac à main. Elle n'a donc ni argent, ni carte, sauf une carte de crédit qu'elle a conservée sur elle.

En 2008, les policiers attitrés à l'enquête répondent que Marilyn, qui est âgée de 24 ans, est majeure. Ils concluent à un départ volontaire. Cependant, l'état dans lequel Marilyn se trouve nous angoisse au plus haut point. Sa vulnérabilité en fait une personne qui s'expose à des situations qui risquent de mettre sa vie en danger.

Nous nous sommes vite rendu compte que le traitement de la disparition de notre fille par le système en place est loin des attentes que nous avions envers lui. Dans les jours, les mois et les années qui ont suivi cette triste journée du 17 février, notre famille a dénoncé de nombreuses lacunes à ce sujet. Nous avons constaté, entre autre, que les policiers manquent de ressources humaines, légales et techniques. L'étendue de leur travail fait aussi que les disparitions prennent de moins en moins d'importance à mesure que le temps passe. L'enquêteur principal au dossier de Marilyn ne fait pas exception à la règle; des dossiers beaucoup plus urgents à traiter que celui de notre fille sont à l'ordre du jour.

Ce système complexe qui gère notre drame n'est pas conscient des conséquences qu'il crée auprès d'une famille déjà accablée par le chagrin et le stress d'une disparition. Aussi, ce n'est que dix mois plus tard que les policiers en charge de l'enquête sur la disparition de Marilyn reconnaîtront son état de détresse suite à un rapport de victimologie produit par la SQ.  

En de multiples occasions, nous nous sommes sentis seuls et impuissants. La confiance acquise au cours des mois se perd rapidement suite à des expériences difficiles vécues avec le corps policier en charge de l'enquête. Ce qui devait être un travail « conjoint » se retourne malheureusement en combat pour une famille qui s'épuise peu à peu à « demander où en est rendue l'enquête sur la disparition de Marilyn ». On finit même par douter de la volonté de la retrouver.

C'est donc à travers les correspondances de courriels, appels téléphoniques et rencontres policières que la famille organise des blitz (2008-2009), effectue de nombreux déplacements au Québec et au Canada, distribuant des affiches de Marilyn tout en rencontrant plusieurs corps policiers. La famille a aussi entrepris des démarches auprès des douze coroners canadiens, a déposé en 2009 une pétition de 5182 noms à l'Assemblée Nationale du Québec pour l'amélioration du traitement des disparitions au Québec, entre autre par la formation d'une brigade spécialisée pour les disparitions, a aussi répondu à plusieurs entrevues dans les médias. Bien d'autres initiatives s'ajoutent à cette liste mais l'essentiel était de donner de la visibilité à l'image de Marilyn et de permettre au public de transmettre de l'information aux policiers s'il y a lieu.

Les longues années de recherches intensives ont fait de notre famille des « êtres » différents. On apprend que les jours et les mois qui passent laissent derrière eux les traces d'un chemin semé d'espoir. Il nous permet de construire et de fixer de nouveaux objectifs qui nous rapprochent de Marilyn. Nous ne sommes plus seuls à faire la traversée. Une chaîne humaine s'est greffée à nous : nos familles, amis, collègues de travail, l'Association Enfant-Retour Québec, l'Association pour les personnes assassinées ou disparues, les médias, la population et certains policiers qui ont à cœur de retrouver Marilyn et qui sont aussi conscients des manquements au niveau du traitement des disparitions au Québec. Le support de toutes ces personnes nous est indispensable dans le travail de recherche actuel. C'est une énergie liée à la nôtre et qui renforce notre volonté de poursuivre la route vers notre fille chérie.

Marilyn a une sœur : Nathalie, qui au cours de ses voyages dans les plus grandes villes canadiennes et américaines, s'est empressée de distribuer des photos de Marilyn en plus de rencontrer plusieurs corps policiers. Depuis quelques années, elle vit la joie d'être maman. Quel baume dans sa vie et celle de ses parents que l'arrivée de cette adorable petite Laetitia! Cette enfant nous fait découvrir des forces insoupçonnées.

Mais l'absence de Marilyn plane continuellement sur notre quotidien et notre bonheur. Elle n'est plus là pour partager nos joies, nos rencontres et même les choses les plus simples de la vie. J'aimerais tant la serrer dans mes bras! Ma fille me manque. Être sans nouvelle, ne pas savoir, ronge l'esprit. Il faut apprendre à vivre autrement. Peu importe l'endroit où je me retrouve, mes yeux cherchent... c'est un réflexe, une part de mon être qui ne peut s'empêcher de regarder autour et même encore plus loin.

Une disparition, c'est une roue qui tourne et qui tourne sans fin, sans limite... mais dans le vide! Ne me parlez surtout pas de deuil aujourd'hui. Faire un deuil, c'est abandonner l'espoir qui m'habite... c'est abandonner ma fille Marilyn. Je ne sais rien d'elle; ni si elle souffre, ni si elle est bien ou pas, ni si elle vivante ou décédée. Ne plus croire que je la reverrai, c'est mettre un terme aux recherches qui me rapprochent d'elle. Non! Je ne sais rien de Marilyn, mais ce que je sais, c'est qu'elle mérite d'être retrouvée! C'est désormais le seul lien, si fragile soit-il, qui nous unit aujourd'hui.

Une disparition, c'est un être cher endormi ou prisonnier, ou peut-être même perdu quelque part, et qui ne se reconnaît plus.

Aidez-nous, s.v.p., à le retrouver!

Andrée Béchard, mère de Marilyn Bergeron, disparue le 17 février 2008
www.trouvermarilyn.com