Par Camille Robert, doctorante et chargée de cours en histoire à l’Université  du Québec à Montréal; coauteure du livre Travail invisible : portraits d’une lutte  féministe inachevée1

 

Le travail invisible touche généralement les femmes, en raison principalement des obligations familiales. Il s’agit d’une charge mentale qui n’est pas un problème récent, et qui représente seulement la pointe de l’iceberg!

Le travail invisible est insaisissable; ses formes et ses gestes sont inscrits dans les codes sociaux et dans la banalité du quotidien. Pour en tracer les frontières, on peut dire qu’il représente l’ensemble des activités de la vie humaine, tant biologiquement que socialement. On peut donc penser au travail domestique et familial, ainsi qu’à certaines formes de travail salarié dans les services, les soins ou l’éducation. Sans ces contributions, notre société ne fonctionnerait tout simplement pas.

Le travail domestique n’est pas nouveau. Au début du 20e siècle, de nombreuses femmes s’appuient sur leurs fonctions pour revendiquer de nouveaux droits. Plusieurs mouvements sont présents dans ces revendications. Au tournant des années 1960-1970, on commence à remettre en question l’affectation des femmes au seul rôle maternel. On affirme alors que le rôle de la femme et de l’épouse qui « prend soin » est un phénomène culturel plutôt que naturel qu’on leur a confié par l’éducation et la socialisation.

Une deuxième vague féministe s’est formée au cours de laquelle les militantes ont plutôt parlé d’oppression. La grande question qui s’est installée est : « Comment reconnaître le travail invisible des femmes? »

Des mesures ont été proposées pour répondre aux enjeux :

1.


La mise en place de certains services, tels que les garderies populaires gérées par des usagers, les cantines populaires, les buanderies populaires, etc.;

2.


La fixation d’un salaire pour le travail ménager. Cela était revendiqué par des groupes plutôt anticapitalistes. Mais la plupart des groupes féministes craignaient l’institutionnalisation du travail à la maison des femmes plutôt que la libération de cette obligation. Certaines méthodologies de calcul avaient tout de même été établies. L’idée a beaucoup circulé;

3.


Des réformes pour faciliter la garde des enfants, pour intégrer les femmes au marché du travail et à la vie politique et pour instaurer des programmes sociaux et des mesures fiscales par l’État.

Des pistes présentées pour remettre le travail invisible au cœur des mobilisations d’aujourd’hui :

Refuser la coupure entre la production et la reproduction, et entre la sphère privée et la sphère publique. Pour les femmes, il s’agit d’un tout, à l’inverse de l’homme;

Envisager une pluralité de luttes : établir un front sur le travail invisible, qu’importe sa nature, et particulièrement lors de négociations collectives; s’intéresser à la reconnaissance du travail invisible, peu importe sa nature; remettre à l’avant-plan les gestes et les préoccupations de l’humanité qui sont trop souvent mis en arrière-plan. C’est d’ailleurs fondamental pour vivre dans une société plus équitable et plus saine;

Bâtir des mouvements sociaux « autoreproducteurs » et revoir les méthodes de mobilisation. Souvent, les mobilisations séparent les préoccupations de la sphère civile et privée. Prendre en considération les besoins des membres d’un mouvement social dans la manière de se mobiliser.

Pour conclure, la notion de travail invisible nous invite à prendre un temps d’arrêt pour revoir comment on mène nos mobilisations, et surtout nos vies. Les enjeux du travail invisible sont souvent détachés les uns des autres, et la tendance est de diviser les luttes et les intérêts. Il faut bâtir des relations au-delà des intérêts personnels et créer des liens de solidarité. 

 

1. Robert, Camille. Travail invisible : portraits d’une lutte féministe inachevée, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2018, 200 p.