Kévin Lavoie, professeur agrégé
École de travail social et de criminologie
Université Laval

 

Les modèles familiaux évoluent et se diversifient au Québec. Cette diversité familiale comprend entre autres les familles homoparentales et transparentales, c’est-à-dire les familles composées d’au moins un parent appartenant à la diversité sexuelle et à la pluralité des genres (DSPG). Bien que la majorité de ces familles soient dirigées par des mères, environ le quart le sont par des pères gais, bisexuels, trans et queer (GBTQ). Des milliers d’enfants grandissent ainsi auprès de pères qui s’engagent dans la parentalité et la vie familiale en dehors des sentiers battus. Étant donné leur orientation sexuelle ou leur parcours d’affirmation de genre, ces hommes défient les normes traditionnelles de la famille et apportent de nouvelles perspectives sur la paternité.

 

Devenir pères

La paternité et l’homosexualité ont longtemps été considérées comme étant incompatibles. À une certaine époque, reconnaître son attirance envers les hommes et s’identifier comme gai équivalaient à mettre une croix sur son désir de paternité. Face à la criminalisation, à la pathologisation, et pour éviter l’opprobre social, plusieurs hommes ont ainsi préféré se conformer à la norme hétérosexuelle en s’engageant dans une trajectoire conjugale aux côtés d’une femme. D’autres ont tout simplement pris conscience de leur attirance envers les hommes plus tard dans leur vie, après
la naissance de leurs enfants.

Grâce à différentes réformes en matière de droit civil adoptées au cours des dernières années et à l’acceptation croissante des diversités familiale, sexuelle et de genre au Québec, différentes possibilités s’offrent désormais aux hommes GBTQ pour fonder une famille. Depuis 2002, il est possible pour deux hommes d’être reconnus légalement comme les pères d’un enfant au Québec. Dix ans plus tard (2022), les pères trans devenus parents avant leur transition peuvent aujourd’hui changer leur désignation parentale (de « mère » à « père », par exemple) sur l’acte de naissance de leur enfant, ou encore opter pour le terme non genré de « parent ».

L’accueil et l’adoption d’un enfant par l’entremise du programme de la banque mixte de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) sont des avenues envisagées par de nombreux couples de même genre. Il en est de même pour l’adoption régulière d’un nouveau-né, bien que la période d’attente implique souvent de mettre en veilleuse son projet familial pendant plusieurs années. L’adoption internationale demeure quant à elle limitée, puisque peu de pays acceptent actuellement des hommes GBTQ, célibataires ou en couple, comme candidats potentiels.

Outre l’adoption, la procréation assistée est une autre avenue possible. La grossesse pour autrui (GPA, ou pratique de « mère porteuse ») est un contexte d’accès à la parentalité qui gagne en popularité, particulièrement chez les couples d’hommes. Contrairement à la croyance populaire, la pratique n’est pas illégale (c’est la rémunération d’une femme qui porte un enfant pour autrui qui demeure interdite au Canada), mais ce n’est que depuis 2023 que les contrats de GPA sont reconnus au Québec. Par ailleurs, les hommes trans peuvent choisir de préserver leur fertilité en congelant leurs ovules en prévision d’un usage ultérieur, par l’entremise de la fécondation in vitro (FIV). D’ailleurs, depuis 2015, une personne trans peut procéder à une transition légale (changement de mention de sexe sur ses papiers d’identité) sans devoir vivre une transition médicale impliquant une intervention chirurgicale menant à la stérilisation. Les professionnel•le•s en périnatalité accueillent ainsi depuis peu des hommes enceints qui donnent naissance et deviennent pères.

Enfin, la coparentalité élective est un arrangement familial qui consiste pour un homme GBTQ à devenir parent avec une ou plusieurs personnes avec lesquelles il ne partage pas de relation conjugale. Ce type d’entente fait directement référence à l’usage commun du concept de coparentalité, qui renvoie au partenariat entre les parents qui travaillent, se construisent et s’organisent ensemble pour élever un enfant dont ils partagent la responsabilité. Différents scénarios sont possibles : il peut s’agir de personnes partageant une relation amicale, par exemple deux personnes célibataires (dans le cas d’une famille biparentale), d’un couple et d’une troisième personne (trois parents), ou encore de deux couples (quatre parents). Or, seulement deux parents peuvent être reconnus légalement comme tels, puisque, contrairement à d’autres provinces canadiennes, la pluriparenté n’est toujours pas reconnue dans le droit de la famille au Québec.

 

Adversité et résilience

Malgré des avancées notables sur le plan légal et l’ouverture grandissante de la population québécoise à l’égard de la DSPG, les pères GBTQ et leurs enfants doivent faire face à certains obstacles qui influencent leurs expériences familiales et les vulnérabilisent. Les pères GBTQ peuvent, par exemple, rencontrer ou appréhender des réactions homophobes et transphobes dans différents milieux, comme les services de garde, les écoles et les établissements de soins. Bien que ces réactions s’amenuisent progressivement au regard du nombre croissant de pères GBTQ au Québec, les modèles et les services disponibles à leur intention demeurent peu nombreux, particulièrement dans le domaine de la périnatalité et de la petite enfance. Cela fait en sorte qu’il peut être difficile ou délicat pour certains pères de dévoiler leur structure familiale, d’exprimer leurs besoins ou de demander de l’aide comme parents.

Les préjugés associés à leur rôle de père en tant que donneur de soins primaires constituent un autre obstacle. Étant une responsabilité traditionnellement associée aux mères et aux femmes en général, les soins aux enfants dispensés par les hommes, et a fortiori les pères GBTQ, peuvent soulever des doutes ou des inquiétudes quant à leurs compétences parentales. Dès lors, ces pères peuvent ressentir un stress et une pression supplémentaire de « faire mieux » que les autres parents, pour ne pas corroborer les mythes et les préjugés associés à leur orientation sexuelle ou à leur transitude. Malgré les situations d’adversité, les pères GBTQ parviennent à créer des environnements familiaux épanouissants pour leurs enfants. De fait, de nombreuses études menées en psychologie du développement et en sciences sociales montrent que les processus familiaux (dynamiques relationnelles, capacité d’adaptation), bien plus que la structure familiale ou l’identité des parents, sont des facteurs déterminants pour le bien-être des enfants.