Par Jessica Abdelmoumene, intervenante à l’AQPAMMi
Voici, de façon fictive, un aperçu de ce que peuvent ressentir les proches de personnes dites aux prises avec une problématique de santé mentale. Le vécu des proches est important, car il nous donne matière à réfléchir sur ce qui entoure l’idée de santé mentale. Ils sont en quelque sorte les intermédiaires entre leurs proches et le système social dans lequel ils évoluent. Ils sont les premiers témoins d’une exigence sociale qui peut blesser. Leur lien d’amour et d’attachement leur donne cette position toute particulière, et bien souvent, lorsqu’ils nous consultent, c’est avec cette double demande de comprendre leurs proches et trouver une façon de se sentir confortables au sein de la relation avec celui-ci, mais également face aux expériences, notamment sociales, que celui-ci rencontre.
C’est mon enfant, mon mari, mon frère, ma sœur, mon oncle, ma tante, ma nièce, mon neveu, un grand-parent, mon ami. C’est mon proche. Je tiens à lui. C’est une personne merveilleuse, talentueuse, pleine de potentiel. Nous avons tous notre couleur et notre façon de vivre, alors je ne comprends pas pourquoi la sienne pose problème aux autres. D’ailleurs, quelques fois, je me surprends à penser moi aussi qu’il faudrait le changer. Pourtant, je sais qu’on ne change pas les gens, qu’il n’y a que lorsqu’on le souhaite que l’on peut s’impliquer dans un chemin personnel d’introspection. Il a des comportements qui dérangent, qui parfois pourraient être dangereux pour lui-même ou autrui. Il a quelques fois des symptômes physiques. Il semble qu’il lui soit plus difficile de circuler dans le social sans se heurter. Il ne « fite » pas. Il semble rencontrer plus de difficultés au niveau professionnel que beaucoup de gens, mais à bien y penser, je me dis que ces situations que nous vivons tous, lui ne les laisse pas passer, qu’elles le percutent, qu’il est plus affecté par une certaine violence de l’exigence profes-sionnelle. Parfois, j’ai l’impression que par sa façon d’être il dénonce quelque chose. En tant que proche, cela m’affecte pour lui, car je me dis qu’il doit être bien fort pour traverser toutes ces situations où il est heurté par un système social duquel il se sent en marge. En même temps, je me dis que nous ne pouvons pas tous être dans cette norme parfois présentée comme un idéal à atteindre, qu’il apporte quelque chose pour que rien ne soit figé. Sa façon d’être dénonce peut-être les limites de ce qui est accepté, mais reflète aussi une grande sincérité, une parole quelques fois plus libre, sans censure, qu’il dit. On dirait que parce qu’il dit, il ne « fite » pas. Il me semble parfois être un révolutionnaire qui s’ignore. En fait, en tant que proche, je suis sensible à sa révolte. Une part de moi trouve que sa liberté d’action et de paroles est belle lorsque j’y pense, mais ce qui m’affecte, c’est que je vois qu’il se fait rejeter par les autres, qui eux, ne voient pas tous sa beauté. J’essaye, le cœur lourd, de lui montrer comment faire pour qu’on ne le regarde pas sans le voir lui, et puis je me rends compte qu’on se regarde tous un peu sans se voir. Alors je me dis qu’il ne sait pas à quel point sa liberté d’être est un acte de courage, même s’il ne le décide pas forcément. Et puis j’ai envie de moins me laisser atteindre par le regard des autres. Il ne « fite » pas et alors ?